Demain, un marché du travail plus inclusif : entreprises citoyennes et inclusion économique

La crise pandémique que nous traversons nous impose un devoir de réinvention comme l’a souligné le Président de la République lors de sa dernière allocution télévisée. Un plan sans précédent de soutien à l’économie à hauteur de 110 milliards d’euros a été voté, il renforce massivement les dispositifs de soutien aux emplois, aux entreprises et aux ménages les plus fragiles. Je m’en félicite et c’est une très grande fierté d’appartenir à une majorité qui a su se mobiliser ainsi et aussi fortement pour soutenir son économie et ses entrepreneurs.

Ce budget table sur un recul de 8% du PIB en 2020, un déficit public d’environ 9,1% du PIB et une dette à 115% du PIB.Un débat sur un marché du travail plus inclusif

En même temps, peut-on véritablement parler de réinvention s’il n’y a aucune contrepartie contractualisée entre les entreprises et l’état en matière d’inclusion économique ?

Nous devons nous assurer que l’inclusion économique qui s’adresse aux populations les moins agiles largement victimes de discrimination, devient un sujet majeur d’engagement sur nos territoires. Nous devons nous assurer que lorsque nous parlons de nos entrepreneurs, nous avons pour objectif de développer des entreprises plus citoyennes. Enfin, nous devons nous assurer que l’état et ses services déconcentrés (Pôle Emploi, DIRECCTE, Préfectures …) sont en capacité de proposer une aide ciblée et concertée avec les acteurs de l’écosystème socio-économique d’un territoire.

Nous avons choisi d’en débattre avec Thibaut Guilluy, Haut-commissaire à l’Inclusion dans l’emploi et à l’Engagement des entreprises, et Angélina Lamy, Déléguée générale de la Fondation Accenture France. Je vous propose de consulter ci-dessous le replay et la synthèse des propositions que nous avons formulées pour adopter une approche globale de la valeur (économique, sociale et écologique). Replay ici !

La crise sanitaire engendre une crise économique et donc de l’emploi. Les dernières prévisions de l’OFCE en matière d’impact de la crise sanitaire sur l’emploi s’élèvent à 460 000 demandeurs d’emploi supplémentaires (200 000 salariés dont la durée de contrat de travail est supérieure à un mois, 60 000 salariés en période d’essai et 175 000 en contrats courts). Cette contraction de l’emploi touchera les personnes les moins agiles et/ou discriminées, c’est-à-dire les Français qui en temps normal vivent déjà une situation plus difficile. La crise actuelle nous amène plus que jamais à ne pas retenir qu’une seule réponse économique de soutien aux entreprises. Il nous faut aujourd’hui avoir une acception complète de la création de valeur dans ses dimensions économique, sociale et environnementale.

Il n’y a pas de chronologie logique entre l’économique, qui viendrait d’abord, puis ensuite le social. Ces dimensions doivent être poursuivies de concert : d’où l’importance de l’approche de l’inclusion économique qui relie économique et social, compétitivité et engagement citoyen de l’entreprise.

C’est le sens de la loi PACTE et de la raison d’être des entreprises ainsi que du PAQTE et du Plan 10 000 entreprises lancés par le Gouvernement dans le cadre de « La France, une chance. Les entreprises s’engagent ».Les trois propositions qui ont émergées à la suite du débat

1. Mettre en place une grande politique de l’inclusion économique pour tous les territoires moins favorisés.

L’inclusion économique élargit le cadre strict de la lutte contre les discriminations (toutes les discriminations : femmes, jeunes des quartiers populaires, handicapés, demandeurs d’emploi moins agiles, séniors etc.) en ce sens qu’elle intègre une dimension positive : le changement des comportements par l’adhésion des entreprises aux objectifs et surtout aux atouts économiques (en termes d’optimisation de leur recrutements) de la non-discrimination. Toutefois, l’inclusion économique ne peut seulement compter sur l’adhésion volontaire, mais doit s’appuyer sur la sanction de la loi. Lutte contre les discriminations et politique d’inclusion économique doivent ainsi s’articuler et se compléter mutuellement. Embarquer toutes les entreprises, de la TPE au grand groupe en passant par les PME et ETI, nécessite un mélange d’incitation et de sanction, d’obligation de moyens et d’obligation de résultat, comme ce fut le cas pour la mise en place de la sécurité au travail. La place accordée à la notation extra financière des entreprises peut être une piste pour mieux mobiliser sur ces sujets (seuil des entreprises concernées par la notation – 500 salariés et CA de 100 Meur – abaisser ce seuil ?)Rappel : Les dispositifs d’insertion sociale et professionnelle destinés aux plus éloignés de l’emploi sont indispensables, mais ils restent nécessairement dans une volumétrie limitée (175 000 bénéficiaires de l’Inclusion par l’Activité́ Économique avec 3900 entreprises participantes, 900 bénéficiaires de Territoires Zéro Chômeur…face à 1,8 millions de chômeurs de longue ou très longue durée). La volumétrie de la France économique de l’ordinaire, quant à elle, renvoie aux millions de chômeurs moins agiles, et aux centaines de milliers de jeunes des quartiers populaires prêts à l’emploi ou proches de l’emploi mais freinés par des discriminations structurelles, et aux 3 millions de TPE-PME qui font l’emploi en France.  

2. Avancer sur le testing des entreprises et l’accompagnement RH des TPE-PME.

Les campagnes de testing permettent de déployer un discours de sensibilisation auprès des entreprises, notamment des TPE, PME et ETI, en s’appuyant sur les relais que constituent les chambres consulaires, les fédérations patronales et les DIRECCTE. Le discours serait le suivant : « Le Gouvernement lance des campagnes de testing pour les grandes entreprises, mais demain cela s’appliquera à toutes les structures : il faut s’y préparer et travailler à l’évolution de vos pratiques de recrutement. » Toutefois, Les petites entreprises n’ont généralement pas de ressource RH en interne pour prendre à bras le corps les questions d’inclusion économique. Elles sont toutes absorbées sur la réponse à leurs besoins (souvent immédiats) de recrutement. Elles ne savent bien souvent pas se saisir des outils du service public de l’emploi, pourtant non payants. D’où la proposition de mettre en place un contrat territorial pour l’accompagnement au recrutementviales clubs 10 000 entreprises entre les représentants des entreprises et les services publics de l’emploi en matière d’accompagnement individualisé des TPE et PME. Les représentants des entreprises du territoire (DIRECCTE/Préfecture) joueraient le rôle d’intermédiation entre les entreprises et les acteurs de l’emploi, à commencer par Pôle emploi, pour amener les entreprises à se saisir davantage des outils publics (comme les conseillers entreprises de Pôle emploi ou les aides à la formation). Ce contrat territorial prendrait en considération les éléments avancés par l’entreprise dans le cadre de sa raison d’être, de son objet social lorsqu’il existe.

3. Pour un « Plan d’accélération de retour à l’emploi ».

Les chômeurs prêts à l’emploi, mais « non agile » car avec des compétences en inadéquation avec les besoins actuels des recruteurs et/ou résidents de territoires défavorisés, ne bénéficient pas de véritable dispositif d’accélération du retour à l’emploi. On peut noter aussi une certaine incapacité de la puissance publique à produire un diagnostic de l’agilité des demandeurs d’emploi et un bilan d’orientation « contractuel » dans un délai court (1 à 2 mois après l’inscription comme demandeurs). Une multitude de dispositifs sont proposés par Pôle emploi aux entreprises, mais leur faible lisibilité n’encourage pas celles-ci, en particulier les TPE-PME, à s’en saisir. Nous recommandons que la partie « conseils RH » de Pôle Emploi au travers de ses conseillers entreprises, se développe à destination des PME non pourvues de direction RH. À côté de l’insertion par l’activité économique (IAE), qui concerne un public éloigné de l’emploi, il faut mettre en place un dispositif d’accélération du retour à l’emploi pour les chômeurs employables mais non agiles qui risquent de s’enfoncer dans le chômage de longue durée et de se démonétiser vis-à-vis du marché du travail, selon la logique du paradigme de l’inclusion économique.

Ce dispositif pourrait prendre la forme d’un nouveau type de CDI : le « CDI renforcé ». Il s’agirait d’un contrat de travail (donc avec un salaire entièrement versé par l’entreprise) d’une personne qui effectuerait dans les premiers mois une sorte de période d’apprentissage ou de tutorat en interne, au sein de l’entreprise, le temps nécessaire pour actualiser ses compétences en regard des besoins de l’employeur. Cette période serait subventionnée par Pôle emploi directement auprès de l’entreprise, sans passer par la personne embauchée. Le dispositif serait ainsi « invisibilisé » aux yeux de l’employé qui aurait un statut de salarié à part entière. Seule une convention tripartite entre Pôle emploi, l’entreprise et l’employé permettraient de s’engager sur les objectifs du CDI renforcé et s’assurer que l’entreprise joue bien le jeu.