Fabriquer du lien, du commun, par la démocratie locale et nationale, est une urgence pour notre pays

#CESE

Le président de la République a annoncé lundi 29 juin vouloir pérenniser l’expérience de la Convention Citoyenne pour le Climat au sein d’une « chambre des Conventions citoyennes », appelant ainsi une réforme du CESE. S’il est naturel de s’interroger sur la nature d’un tel exercice, il faut avant tout s’interroger sur ce qui nous pousse aujourd’hui à vouloir expérimenter de nouvelles formes d’expression démocratique.

Alors même que les Français nous rappellent sondage après sondage que les maires sont leurs élus préférés, les dernières élections municipales prouvent qu’il est de plus en plus délicat de lier intérêt pour la vie publique et participation électorale. Il suffit pour cela d’observer le taux de participation se dégradant inexorablement d’élection en élection. Est-ce signe d’une déconnexion totale ou d’un désintérêt pour la puissance publique alors que dans le même temps 9 Français sur 10 déclarent souhaiter une meilleure écoute de la société civile par les pouvoirs publics ? Comment dès lors comprendre cette dichotomie ?

Fabriquer du lien, du commun, par la démocratie locale et nationale, est une urgence vitale pour notre pays. Quand cette fabrication du collectif n’est pas encadrée sur le plan institutionnel, elle se fait alors au travers de l’agglomération d’intérêts divers qui trouvent sporadiquement une justification commune. Les mouvements des pigeons en 2012, des bonnets rouges en 2013, puis dernièrement la crise des gilets jaunes nous le rappellent. L’expression publique ne disparaît jamais, elle utilise simplement ses propres outils en dehors du champ politique traditionnel. La vie démocratique fondée sur une société de classes, avec des partis politiques de masse, antichambres de la politique représentative n’est plus ce qu’elle était. Comme pour de nombreux autres secteurs, le lien entre le citoyen et le pouvoir s’est individualisé. Nous avons évolué en une société d’acteurs autonomes, mobiles, à l’ancrage territorial fragilisé, ou inversement parfois subi, avec une capacité d’émancipation individuelle et collective restreinte nourrissant de nombreuses frustrations ou colères. La démocratie représentative est donc interrogée au même titre que nos relations avec nos territoires.

Certes, notre système démocratique a déjà proposé plusieurs évolutions. A la légitimité électorale s’ajoute celle de la neutralité ou de l’expertise. De nouvelles institutions ont vu le jour pour encadrer et améliorer les décisions des pouvoirs publics. En parallèle, la place faite à l’individu et la conception politique que l’on se fait de lui ont évolué ces dernières années afin de « compléter » notre démocratie représentative et laisser plus de place au citoyen, d’accélérer le temps politique, et d’encadrer le pouvoir des élus : élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962, passage au quinquennat en 2000, création de la Haute Autorité afin de prévenir tout conflit d’intérêt et limiter le cumul des mandats dans le temps et en nombre… Or si ces évolutions peuvent, dans une certaine mesure, faire sens, elles ne permettent jamais de dépasser le cadre traditionnel de la représentation.

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Ne nous y trompons pas : la démocratie représentative est indispensable. Par l’idée même d’avoir des représentant, elle crée le corps politique du Peuple. Puis, par la constitution de la Nation et l’exercice qui permet à cette dernière de se choisir des représentant, la démocratie représentative crée le citoyen, c’est-à-dire cette égalité civique et fraternelle dépassant les clivages sociaux, économiques, ethniques… Mais force est de constater que la représentation ne fait plus le joint entre le citoyen et les idéaux sacrés de la Nation, provoquant une forme d’extériorisation politique de nos institutions.

Est-ce pour autant une disparition de la politique ? Si on s’en tient à la définition classique de la gestion de l’espace entre les hommes selon ARENDT, nullement. La Constitution permet de construire le Peuple en même temps qu’elle permet l’émancipation individuelle par la prise en considération toujours plus poussée de ses interactions sociales et de leurs évolutions dans le temps. D’un point de vue juridique, l’individu n’est plus simplement électeur, il est multidimensionnel pour reprendre le terme de Dominique ROUSSEAU. C’est en analysant objectivement ces évolutions qu’on ne peut que regretter la déconnexion croissante entre la conception constitutionnelle du citoyen français, et de son expression démocratique au sein de nos institutions.

Il est naturel de s’interroger sur l’organisation de la Convention Citoyenne pour le Climat. Il est indéniable que la démocratie participative ne peut en aucun cas remplacer ou contraindre la démocratie représentative. Et cet exercice a évidemment besoin d’être « rodé et complété ».

Cependant l’évolution du CESE en chambre de la Société civile doit nous pousser à repenser nos cadres démocratiques : est-ce que nos institutions actuelles, nationales et locales, font sens et permettent aux citoyens d’intégrer efficacement les décisions des pouvoirs publics ? Est-ce que nos processus démocratiques permettent aujourd’hui l’émergence d’un espace public délibératif permettant la contradiction et les débats de façon sereine afin de trouver des solutions viables et pérennes ?

Parce que nous n’osons affronter ces questions de face (ou tentons d’y répondre de façon simpliste), nous laissons prospérer les réponses populistes de l’extrême droite et de l’extrême gauche qui eux n’hésitent plus à aller chercher les « invisibles ». Dynamique délétère. Les mêmes qui hier refusaient de voir l’échiquier politique français évoluer vers une nouvelle polarisation refusent aujourd’hui d’objectiver ces transformations dans le comportement civique et électoral des citoyens, dépassant très clairement l’appartenance à tel ou tel parti politique

>> Focus sur le Projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental :

Ce texte entend poursuivre la dynamique de revalorisation du CESE en lui assignant une triple fonction :

Eclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux :

  • Encourager le rôle des assemblées consultatives en matières économique, sociale et environnementale et promouvoir une politique de dialogue et de coopération ;
  • Remise d’un rapport, à la demande du Gouvernement et du Parlement, sur la mise en œuvre d’une disposition législative entrant dans son champ de compétence ;
  • Possibilité, à son initiative ou à la demande du Gouvernement, de recourir à la consultation du public en organisant, le cas échéant, une procédure de tirage au sort pour déterminer les participants.

Accueillir et traiter les pétitions dans un cadre rénové :

  • Dématérialisation des pétitions et la réduction du délai de traitement d’un an à six mois ;
  • Approfondissement de la procédure simplifiée d’adoption des avis ;
  • Dispense d’autres consultations en cas de consultation du CESE.

Renouer avec sa vocation de miroir de la « société civile » en se transfigurant en « carrefour des consultations publiques » :

  • Diminuer d’un quart du nombre des membres du CESE ;
  • Suppression de la catégorie des personnalités qualifiées des différents pôles désignées par le Gouvernement.

À noter : le CESE va devenir le carrefour des consultations citoyennes. Sa composition sera plus représentative de la société. Il pourra avoir recours au tirage au sort pour associer des citoyens à ses travaux. Le seuil des signatures pour les pétitions permettant de le saisir sera abaissé de 500 000 à 150 000 et l’âge requis de 18 à 16 ans. Nous donnons aux citoyens la place qui leur revient dans notre vie démocratique.

Retrouver mon intervention au Conseil Economique et Sociale de septembre 2019